39.

La maison était illuminée de haut en bas. Il crut apercevoir quelqu’un à l’étage. Probablement Eugenia. La pauvre, elle avait dû entendre les bruits de lutte. Peut-être même avait-elle découvert les corps. Mais ce n’était qu’une ombre derrière une fenêtre, il n’était pas sûr. Et il était bien trop loin pour entendre le moindre bruit.

Il rangea la pelle dans la remise. La pluie se mit à tomber plus fort, apportant avec elle sa délicieuse odeur caractéristique.

Il y eut un grondement de tonnerre et un éclair blanc fendit le ciel. De grosses gouttes tombèrent sur sa tête, son visage et ses mains.

Il déverrouilla la grille et alla au robinet près de la piscine. Après avoir ôté son pull-over, il se lava les bras, le visage et le torse. La douleur était toujours poignante et il remarqua que sa main gauche était faible. Mais il arrivait à la fermer. Il regarda vers le chêne. Avec l’obscurité, on ne distinguait rien de particulier.

La pluie tombait dru sur les dalles et lavait le sang de Lasher. Il ne resta bientôt aucune trace.

Complètement trempé, il restait là, immobile. Il aurait bien fumé une cigarette, mais la pluie l’aurait éteinte. À travers la fenêtre de la salle à manger, il aperçut l’image floue d’Aaron, toujours assis à la table, comme s’il n’en avait jamais bougé. La haute silhouette sombre de Yuri était là aussi. Et puis une troisième personne, qu’il ne reconnaissait pas.

Tout le monde était là. Cela devait arriver. Quelqu’un avait dû venir… Béatrice, Mona ou un autre, et prévenir tout le monde.

Lorsque tout le sang eut disparu, il alla à la porte d’entrée de la maison.

Deux voitures de police étaient stationnées devant la grille, gyrophares allumés, et un groupe d’hommes, dont Ryan et Pierce, discutaient. Mona était là aussi, vêtue d’un jeans et d’un sweat-shirt. Il eut envie de pleurer en la voyant.

Pourquoi ne m’arrêtent-ils pas ? se demanda-t-il. Pourquoi ne viennent-ils pas me chercher ? Combien de temps suis-je resté ici ? Combien de temps m’a-t-il fallu pour creuser la tombe ?

Tout cela était bien vague dans son esprit.

Aucune ambulance. Mais cela ne voulait rien dire. Sa femme était peut-être morte et son corps déjà emporté. Aller auprès d’elle, se dit-il. Quoi qu’il arrive, on ne m’emmènera pas d’ici sans que je l’embrasse une dernière fois.

Il avança vers les marches du perron.

Ryan l’aperçut.

— Michael, Dieu merci, vous êtes de retour ! Quelque chose d’inexcusable s’est produit. C’est un malentendu regrettable. Juste après votre départ. Je vous promets que cela ne se renouvellera pas.

— De quoi s’agit-il ?

Mona le regardait fixement, son jeune visage magnifique impassible. Ses yeux étaient si étonnamment verts. Il repensa aux pierres précieuses évoquées par Lasher.

— Une espèce de confusion avec tes gardes et les infirmières, dit Ryan. Tout le monde, sans exception, est rentré chez soi. Même Henri. Aaron était seul ici et il dormait.

Mona adressa à Michael un discret geste de dénégation.

— Rowan va bien ? demanda Michael.

Il avait déjà oublié ce que Ryan venait de dire. Mais, à son comportement, il était clair que Rowan n’était pas morte.

— Oui, elle va bien. Elle est restée seule pendant un certain moment et la porte n’était pas fermée. De toute évidence, quelqu’un a dit aux gardes qu’on n’avait plus besoin d’eux. Un prêtre de la paroisse, mais nous ne l’avons pas encore retrouvé. Quoi qu’il en soit, il a dit aux infirmières que Rowan était… était…

— Mais elle va bien ?

— Oui. En fait, rien n’a été touché et rien ne s’est passé. Eugenia était dans sa chambre. Mona et Yuri ont trouvé l’endroit désert en arrivant. Ils ont réveillé Aaron et m’ont appelé.

— Je vois, dit Michael.

— Nous ignorions où vous étiez. Puis Aaron s’est rappelé que vous étiez parti faire une longue promenade, je suis venu le plus vite que j’ai pu. Tout était en ordre. Évidemment, j’ai congédié les employés. Ceux-ci sont tous nouveaux.

— Je comprends, dit Michael en hochant la tête.

Ils montèrent les marches et entrèrent. Tout avait l’air à sa place. Le tapis rouge grimpant les marches d’escalier, le tapis oriental devant la porte. Quelques éraflures marquaient le sol, mais c’était normal sur un plancher ciré.

— J’ai doublé la garde, dit Ryan, et les équipes d’infirmières. Personne ne doit quitter cette maison sans l’autorisation expresse d’un membre de la famille. Il faut que vous puissiez aller vous promener en étant sûr que quelqu’un veille sur Rowan.

— Oui, dit Michael. Je vais monter la voir.

Rowan portait une chemise de nuit propre en soie blanche. Elle était telle qu’il l’avait laissée : même expression douce, mains croisées sur la poitrine, allongée sur un drap bordé d’un ruban bleu. La chambre sentait la propreté, la bougie et les fleurs jaunes posées dans un vase sur la table des infirmières.

— Jolies fleurs, commenta Michael.

— Oui, c’est Béa qui les a apportées, dit Pierce. Quoi qu’il arrive, Béa apporte toujours des fleurs. Je ne crois pas que Rowan se soit aperçue de quoi que ce soit.

— Non, certainement pas.

Ryan continuait de s’excuser, de promettre que cela ne se produirait plus. Hamilton Mayfair sortit de l’ombre, salua de la tête, et y retourna sans un bruit.

Béatrice entra dans la pièce dans un cliquetis, de bracelets probablement. Avant même de la voir, Michael sentit son baiser et son parfum au jasmin. L’odeur lui fit penser au jardin en été. L’été. Il n’était plus très loin. Béatrice mit ses bras autour de Michael et le serra.

— Mais vous êtes tout mouillé !

— C’est vrai, dit Michael, j’avais oublié.

— Ne vous inquiétez pas, tout va bien. Mona et Yuri se sont occupés de tout. Nous voulions que tout soit parfait pour votre retour.

— C’est très gentil de votre part.

— Tu es épuisé, intervint Mona. Tu devrais te reposer.

— Allez enlever ces vêtements trempés, dit Béatrice. Vous allez attraper froid. Vos affaires sont dans la chambre du devant ?

Il hocha la tête.

— Je vais t’aider, dit Mona.

— Aaron. Où est-il ? demanda Michael.

— Il se porte comme un charme, répondit Béatrice. Ne vous faites aucun souci pour lui. Il prend son thé dans la salle à manger. Je descends vous chercher à boire. Mona va vous aider. Dépêchez-vous d’enlever tout ça.

Elle le détailla de la tête aux pieds. Il avait des taches partout sur son pull-over et son pantalon. Ses vêtements sombres étaient si mouillés qu’on ne pouvait distinguer le sang de l’eau. Quand ils seraient secs, oui.

Mona ouvrit la porte de la chambre du devant et le précéda à l’intérieur. Le lit conjugal était toujours là, avec son baldaquin blanc. Et encore d’autres fleurs. Des roses jaunes. Les rideaux étaient ouverts et la lumière des réverbères filtrait à travers les branches des chênes. Cette chambre ressemble à une maison dans les arbres, songea-t-il.

Mona l’aida à ôter son pull-over.

— Tu sais quoi ? demanda-t-elle. Ces vêtements sont vraiment trop vieux. Je vais te rendre un réel service et les brûler. Cette cheminée est en état de fonctionnement ?

Il acquiesça.

— Qu’avez-vous fait des deux corps ? questionna-t-il.

— Chut ! Ne parle pas si fort. Yuri et moi nous en sommes occupés. N’en parle plus jamais.

— Je l’ai tué, tu sais.

— J’aurais aimé le voir. Juste une fois !

— Non, tu n’aurais pas aimé le voir. Et je te conseille de ne pas chercher où il est ni de me demander où je l’ai mis.

Elle ne répondit pas. Son visage était serein, déterminé, au-delà de son influence, de sa tendresse. Ce mélange d’innocence et de maturité était stupéfiant. Sa fraîcheur et sa beauté étaient intactes.

Il enfouit une main dans sa poche et en sortit l’émeraude boueuse. Mona écarquilla les yeux, muette de stupéfaction.

— Emporte-la avec toi, dit-il dans un souffle. Elle est à toi maintenant. Et n’essaie jamais de comprendre.

Elle prit un air grave, dans lequel ne transparaissait aucune émotion. Ressentait-elle une sorte de respect ou était-elle absorbée dans ses pensées ?

Elle referma sa main sur l’émeraude, comme pour la cacher, et, de sa main fermée, serra le paquet de vêtements sales.

— Va prendre un bain, maintenant, dit-elle calmement. Après, tu te reposeras. Moi, je m’occupe de ton pantalon, tes chaussettes et tes chaussures.

 

L'heure des Sorcières
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